Retour à Tanger

Ce pénible mais délicieux voyage terminé, nous retrouvons avec plaisir notre "demeure".

  Il nous faudra 2 jours pour récupérer mais la fatigue persistera malgré tout. D'autant que nous retrouvons très vite Salah et son ami Azzedine heureux de nous emmener faire nos "emplettes" au pas de course dans les rues très pentues de Tanger.

Heureusement le départ approche,
même si ces 5 jours de mer pour Madère, notre plus longue traversée à ce jour, ne m'emballent pas, mais alors pas du tout!

Durant notre absence, le port s'est rempli.
  5 nouveaux voiliers, français pour la plupart, sont arrivés. Il suffit d'observer les nouveaux branchements sur le ponton pour savoir qu'il y a des nouveaux!
Chaque départ et chaque arrivée nécessitant de larguer l'amarre de chacun des autres bateaux accrochée à la digue afin de libérer l'accès au ponton. Mais Khamed et Abdesalam sont là qui s'occupent de tout!

Ce sera pour nous l'occasions de faire de nouvelles connaissances:
    . Nesrin et Christophe sur Pastis (avec un nom pareil, nous ne pouvions que nous rencontrer!) rentrent en France après un voyage d'un an dont plusieurs mois au Cap Vert et surtout au Sénégal.

Ils nous racontent, photos à l'appui, les villages de Casamance et la gentillesse de leurs habitants qu'ils ont eu tant de mal à quitter, nous faisant rêver d'avantage et renforçant, si besoin était, notre impatience de découvrir ce pays.
         . Colette et Luc sur Xiloa partis il y a un peu plus d'un mois avec leurs 2 jeunes enfants, mais surtout leur fille Laurine, âgée de 15 ans. En 2 jours Laurine et Candice deviennent inséparables.

Saisissant toute occasion pour aller se promener, elles traverseront même la zone franche, à la sortie du port, inconscientes du danger qu'elles encourent. Nous sommes tous inquiets de ces escapades bien compréhensibles et savons qu'il nous faut quitter Tanger au plus vite afin qu'elles puissent se retrouver dans un environnement plus sûr.

   Le projet de Xiloa : Départ imminent pour un court séjour sur Madère, les Canaries puis traversée sur le Brésil. Nos filles auront donc, hélas, peu de temps à partager.
Après une "réunion au sommet" entre les parents, nous décidons de nous retrouver à Porto Santo. Xiloa nous y attendra afin que nos deux "pin-up" profitent au maximum de cette belle amitié.

Nous sommes à la veille du départ.

Derniers remerciements et adieux à Salah et Azzedine.
Dernière soirée avec l'équipage de Pastis.


L'humour de Nesrin rendra cette soirée inoubliable, relatant sous les yeux rieurs et le regard amoureux de Christophe nombre d'anecdotes, mimant par exemple à la perfection la confection d'une omelette, en navigation, lorsque le bateau gîte de 30 degrés, ou nous incitant à investir dans un casque intégral afin d'amortir les chocs avec des poissons volants (et elle parle d'expérience!).

Sa perception de la vie sur un voilier étant incroyablement la même que la mienne (ainsi que de beaucoup de femme semble-t-il), elle fera une proposition très alléchante afin de rendre notre vie plus confortable à bord : Débiter à la tronçonneuse tangons, bôme, grand-voile et mât et les jeter à 15 mètres de fond… Mmm, très tentant !!!
Dommage que nos chemins se séparent ici.
Mais peut-être à un de ces jours. Le monde est si petit!
. . .

Demain nous quittons le Nord du Maroc. Nous reviendrons très bientôt pour une visite du Sud à partir d'Agadir.

Mais avant de partir pour Madère, je vais évoquer, fidèle à mes habitudes, quelques informations glanées ça et là sur la vie au Maroc, et vous parler d'un sujet qui me tient très à cœur: Les enfants.
La vie au Maroc
La femme dans le Nord du Maroc
A Tanger comme a Tetouan, Meknes ou Fes, la majorité des femmes portent, avec ou sans foulard, cette belle Djellaba à capuche (la photo étant un peu floue, cf. Chefchaouen).
Très rares sont celles portant la tenue "islamique" (désolée de n'avoir pu en comprendre le nom). Salah nous apprend que certains hommes obligeant leurs femmes à porter cette tenue se justifient par le fait que "ce sont des femmes extrêmement belles" ("quand on veut tuer son chien…" vous connaissez la suite!).

Anecdote : Salah nous confie également "un bruit qui court" au Maroc : Certains hommes porteraient aussi cette tenue pour aller rendre visite à leur maîtresse. Les voisins pensant alors que celle-ci reçoit une amie!

Dans les vitrines des boutiques, nous admirons également le Keftan, robe brodée aux couleurs éclatantes, portées les jours de fête avec une large ceinture. Cette dernière est en or pour celles qui peuvent se le permettre. Nous pouvons en admirer le travail dans les vitrines des bijouteries.

Sur les plages, nous notons la présence exclusive de "garçons". Les quelques femmes s'y trouvant demeurent assises… habillées.
Nous apprendrons par la suite qu'elles peuvent se mettre en maillot et se baigner si elles le souhaitent. SAUF, si elles ont décidé de porter le foulard.

En effet, ce simple foulard s'avère un symbole fort de leur engagement religieux. L'ôter après avoir pris la décision de le porter signifierait un renoncement à la foi et choquerait.
Certaines regrettent donc fortement ce choix parfois influencé par la famille.

Liberté de la femme.

Dès notre arrivée à Tetouan, une chose nous avait marqués et se confirme ici:
Alors que la Tunisie se proclame le pays de la liberté pour la femme, nous n'avions JAMAIS croisé de couples se promenant ou faisant les courses ensemble. Encore moins se tenant la main ou le bras. Partout les hommes demeuraient entre eux, parfois avec leurs jeunes fils (mais jamais de fille), alors que les femmes vaquaient, entre elles, à leurs occupations.

Au Maroc, alors que les tenues vestimentaires sont beaucoup moins "européanisées" et que la plupart des femmes et jeunes filles portent le foulard, nous croisons sans cesse des couples, jeunes et moins jeunes, se tenant par la main. Les hommes s'occupent également des enfants, les tenant dans les bras ou poussant les landaus, au même titre que leurs épouses.

Pourtant, un problème demeure, similaire à celui rencontré en Tunisie. Les jeunes filles commencent à vouloir jouir de leur liberté nouvelle et sortent entre amies. Mais ces jeunes messieurs, n'ayant pas encore intégré cette évolution trop rapide, estiment que celles qui se permettent une telle "audace" ne sont que des "P…"!
         Tout n'est donc pas gagné pour elles!

Liberté de circulation

Il paraît que les Marocains peuvent obtenir un passeport dans la journée, sans difficulté. Ils peuvent donc à leur gré, sous réserve d'obtenir un visa, envisager un séjour à l'étranger.

Le fait que beaucoup de jeunes tentent de se glisser sous les camions ou dans les voitures qui embarquent pour la France ou l'Espagne pourrait donc s'expliquer par la difficulté d'obtention d'un visa, accordé qu'avec l'assurance d'un salaire correct les incitant à revenir.

La monarchie
La présence d'un roi au Maroc semble être un élément essentiel de la stabilité dans ce pays. Cette forme de pouvoir évitant des rancœurs entre populations berbères et arabes. Un chef élu parmi l'une ou l'autre de ces populations quelque peu rivales engendrerait très certainement des conflits.
Mohamed VI règne au Maroc depuis 1998. Il semble qu'il ait tenu ses promesses et il est désormais possible de critiquer le pouvoir en place sans craindre pour sa vie.
La drogue
Malgré l'assouplissement amené par Mohamed VI, tout n'est pas parfait et un gros problème persiste: celui de la drogue.
Les plantations de cannabis (le kif) sont autorisées dans les zones de montagne (le rif). En ce qui concerne la vente et la consommation, cela semble plus complexe.
Pour résumer, je dirai que celles-ci sont légalement illégales mais illégalement autorisées!!!
De l'avis de certains habitants, la ville de Tanger serait l'exemple même de l'importance (sous entendu  "nécéssité"?!) de ce trafic car "sans lui et les investissements qu'il engendre, cette ville ne serait pas ce quelle est".
       Je n'irai pas plus avant sur ce sujet épineux!

Et enfin le sujet me tenant très à cœur :

Les enfants

Dans les bars, les bus, sur les places, de jeunes enfants vendent des mouchoirs en papier ou des chewing-gum.
De jeunes garçons cirent consciencieusement les chaussures de marocains aisés, passant plus de 10 minutes pour quelques centimes d'euros.

Nous avons vu de jeunes enfants à Meknes comme à Tanger à l'entrée du port, sales et pieds nus. A l'entrée du port de Tanger, beaucoup "sniffent" du solvant.

Constater cette misère est difficile à supporter, mais comment les aider tous? Et hélas, nous en verrons bien d'autres, poursuivant notre chemin tandis qu'eux, demeureront pauvres!


Mais le plus bouleversant est ce que nous avons pu observer, chaque jour et surtout chaque nuit, dans le port de Tanger:
     Faisant votre entrée dans le port de Tanger, vous passez entre 2 digues encadrant l'entrée du port. L'une étant le prolongement du port de pêche, l'autre celui de l'embarcadère des ferries.

Vous devez faire très attention aux enfants qui traversent à la nage d'une digue à l'autre, comme aux nombreux sacs plastiques, toujours noirs, qui les précèdent.
Les chalutiers semblent accoutumés du fait et veillent à éviter tout accident.

Vous êtes surpris, pensant qu'ils sont fous de prendre de tels risques.
Mais ce jeu, certes dangereux, vous fait sourire - Il faut bien qu'ils passent le temps!

     Tout le jour, mais plus encore la nuit, ils sont des dizaines sur la digue du port de pêche. Chacun se dévêt et après quelques exercices, pour se mettre en condition ou se donner du courage, l'eau n'étant pas bien chaude, se jette à l'eau, poussant devant lui son sac plastique, encouragé par les copains restés à terre.

     Parfois l'un d'eux pleure. Le courant est trop fort, il ne parvient pas à atteindre l'autre rive. Ses amis viennent alors à sa rescousse.
L'autre digue atteinte et escaladée, des vêtements et chaussures secs (on se demande comment ils font!) sortent des sacs plastiques.
Ils se rhabillent alors, certains enfilant 2 pantalons et 2 tee-shirts, et tentent discrètement de passer la grille de la zone d'embarquement.
Braver l'interdit, n'est-ce pas naturel pour un enfant?
Vous souriez toujours!
     Parfois, un policier les surprend. Ils tentent alors de s'enfuir, courant à perdre haleine, sous les acclamations de leurs "spectateurs", sur l'autre digue.
Celui qui se fait prendre écope de coups de pieds et de matraque qu'il tente d'esquiver, et une fois dans le fourgon de police, des cris se font entendre.

Comment un adulte, certainement père lui-même, peut-il s'acharner ainsi sur un enfant?
Vous ne souriez plus!

     A pied, avant d'atteindre le port, vous devez passer 2 grilles surveillées chacune par un policier et un militaire. Entre ces 2 grilles éloignées d'environ 500 mètres l'une de l'autre, d'autres policiers sont sans cesse présents.
Pourtant des dizaines d'enfants et adolescents sont là, de jour comme de nuit. "Des enfants de la rue" vous demandant au passage quelques dirhams ou une cigarette.
Vous apprenez en fait que tous ces gamins de 12 à 25 ans, ces "enfants de la rue" comme ces "enfants de la digue", tentent chaque jour de rejoindre l'Europe.

Ils sont là pour se glisser sous les camions ou les caravanes et accéder à la zone d'embarquement, s'ils ne se font pas "sortir" violemment par la police, et espèrent embarquer ainsi dans un ferry pour la France ou l'Espagne.

     Un soir, sortant dîner avec nos amis, nous observons la file de camion attendant le contrôle. A quelques mètres de nous, deux jeunes se glissent sous un camion venant de passer sous le scanner.
   Nous apprenons que, dans l'après-midi, les sirènes des ambulances ont retenti dans la zone d'embarquement. L'un d'eux à été écrasé sous l'amortisseur d'un camion.

Comment retenir des larmes de tristesse et de rage!


     Chaque jour nous en verrons des dizaines et des dizaines faire la même chose, grimpant sur les toits, dans la moindre ouverture ou dessous les camions dont la file s'allonge dans la zone franche.

Je voudrais leur crier que leur rêve européen n'est qu'une utopie.
Que s'ils arrivent sains et saufs et qu'aucune famille ne les attend, ils se feront exploiter sous promesse d'obtenir des papiers qu'ils ne verront jamais.
Qu'en Europe, ils ne pourront pas vendre tout et n'importe quoi pour manger.
Qu'en Europe, même la rue leur sera interdite!

Mais à quoi bon?

Certaines associations s'en chargent déjà, créées par ceux qui en sont revenus et dont le rêve s'est écroulé.

Mais rien n'y fait.
Ils sont et demeureront des dizaines et des centaines à tout risquer,
pour partir et atteindre l'Europe.
Pour vivre un rêve qui sera un cauchemard.

Je voudrais surtout dire aux autorités de ce pays que s'ils voulaient vraiment empêcher ces jeunes de prendre de tels risques, pourquoi ne pas barricader cette zone d'embarquement aussi efficacement et y poster autant de gardes que devant les dizaines de Palais Royaux, répartis dans tout le pays, que nul ne pourrait approcher, ni même photographier?!

Pendant ce temps, quotidiennement à la télévision, des mères, des grands-mères, des sœurs, des tantes se succèdent, implorant des nouvelles d'un être cher, tandis qu'à gauche de l'écran défilent les portraits des jeunes gens disparus, partis depuis trop longtemps sans donner signe de vie…

. . .
Je sais que ces mots sont stériles.
JE ne peux rien faire. VOUS ne pouvez rien faire.
Seuls ceux que l'on nomme "les grands de ce monde", bien petits à mes yeux, le peuvent.

Je voulais juste que vous sachiez. Et, comme pour la Tunisie et comme nous le constaterons encore bien trop souvent et probablement bien plus durement, nous devons penser à la chance que nous avons, NOUS, européens!

Mercredi 13 septembre. Le grand départ !

Tous sont partis. Il ne reste que 2 voiliers sur le ponton : Nous et Kundalini 

Mais… qu'est-ce qu'ils font là ceux-là? - Et qu'est-il arrivé à Kundalini? - Il a bien vieilli !
C'était juste une petite surprise pour Aline et Philippe!
Un homonyme, peut-être un vieux cousin… mais alors un très très vieux cousin!!!
Je disais donc que, ne restant que 2 voiliers amarrés au ponton, nous avons toute la place pour les manoeuvres. Le départ ne devrait pas poser de problème.

Nous remercions Abdesalam et surtout Khamed, qui nous demande de revenir le voir un jour, pour son sérieux et son extrême gentillesse.
Et c'est parti… A nous la traversée!
Mais ça, c'est une autre histoire. . . Et je compte bien vous la raconter!

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