Monsieur   le  Président  et  sa  Police

(2006)

Il est l'heure de vous parler de ce cher Président Ben Ali.
Le Général Zine el Abedine Ben Ali pour être précise.

Un pied sur le sol tunisien et vous pouvez d'ores et déjà connaître ce personnage.
C'est simple, sa photo est partout.
Dans chaque lieu public, chaque bar, chaque boutique, et dans la plupart des rues.

Ah! -  Il a une prédilection pour les ronds points.
Normal,…  plus de place donc photo plus grande!

Je ne manquerai donc pas d'illustrations pour le récit, peut-être un peu long, qui va suivre.
(Et je passe sur les nouveaux billets ainsi que nombre de rues et places portant le nom de "7 novembre 1987", date de sa prise de pouvoir).

Mais si ces multiples portraits prêtent plutôt à rire, le sujet, lui, est très sérieux.

Rémy, Candice et moi ne saurions en aucun cas clore ce voyage en Tunisie sans informer ceux qui ne le seraient pas encore de la politique menée dans ce pays.

Dans le port de pêche de Kelibia.
Ce n’est pas son meilleurs profil !

Pour commencer, un bref rappel historique :

Lorsque que Ben Ali prend le pouvoir, il tient (?) à renforcer la démocratie et instaure des élections quinquennales.
Si l'on prend l'exemple des élections de 1994 auxquelles il obtient 99,9 % des voix, nous en sommes déjà convaincus?!

Si l'on y ajoute le contrôle de la presse, les centaines d’arrestations au motif le plus souvent fallacieux de soutenir le parti « Ennahda » (mouvement islamiste) suivies de condamnations arbitraires, le harcèlement et les arrestations des défenseurs des droits de l’Homme, d’avocats, d’étudiants jugés au seul motif de leurs opinions ou de leurs engagements pour les libertés (9 ans de prison ferme d'un membre d'un autre parti en 1999 – expulsion dès son arrivée en 1996 du président de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme, …), la pratique de la torture dans les locaux du ministère de l’Intérieur et j'en passe, … cela ne fait plus de doute.
Toujours au port de Kelibia.

Ces pratiques dénoncées par le comité de la torture des Nations Unies et systématiquement condamnées par Amnesty International, Monsieur Ben Ali poursuit toutefois sa politique "démocratique".
Ce pays possédant le code de la Femme le plus progressiste des pays musulmans (droit à l’avortement, à la contraception) lutte vigoureusement contre l’intégrisme religieux et fait des progrès en matière de santé et d’éducation.
La violation systématique des libertés fondamentales est d’autant plus regrettable.

 

Un petit exemple de l'exercice de cette démocratie:

Un étudiant sait que son diplôme lui permettrait d'accéder à une excellente situation, mais les salaires en Tunisie étant très bas, il cherche un emploi à l'étranger.
Admettons qu'il y "décroche" un contrat, il doit alors déposer la somme de 15000 dinars (10000 euros) sur un compte en tunisie. Ce dernier sera bloqué jusqu'à son retour. La même "chose" sera demandée à un étudiant souhaitant faire ses études à l'étranger (vous souvenez-vous que le salaire moyen est de 350 à 400 dinars).
Admettons encore qu'il trouve une telle somme et décide d'y  renoncer définitivement en quittant son pays…  Encore faut-il qu'il obtienne son visa ?!

Nous comprenons beaucoup mieux pourquoi ces jeunes tunisiens rêvent de partir. Certains d'entre eux prennent même le risque de fuir à bord de petites barques, à la rame, dans l'espoir de rallier l'Italie… Ils sont la plupart du temps rattrapés par la police.
Certains y ont laissé leur vie…

A 20 ans, avec de telles perspectives d'avenir, comment avoir envie de se battre pour s'en sortir?

Et plus simplement, je citerai cette remarque de Candice :

"Si la vie en France était ce qu'elle est, mais en sachant que l'on ne pourra jamais quitter son pays, on n'aurait qu'une envie, celle de fuir!"

Dans les rues de Monastir.

Voici encore ce que nous avons pu vivre de cette pseudo démocratie en Tunisie.
Une "aventure" vécue au port de Monastir :

Nous invitons un de nos amis à venir passer quelques jours avec nous.
Sachant qu'un tunisien ne peut monter à bord d'un bateau qu'avec l'autorisation de la police, nous allons nous renseigner sur les formalités à accomplir.
Réponse : Cette personne devra rencontrer le chef de Police le jour de son arrivée.
IL arrive. Nous allons au poste.
Rémy devra rédiger une demande d'autorisation au chef de police.
Convoqué plus tard par ce virulent personnage, la demande est "REFUSEE".
- Le jour oui, la nuit non! -
Rémy insiste, invoquant l'hospitalité propre à leurs coutumes - REFUS TOTAL.
Après maintes sollicitations et la soirée étant bien avancée, une seule nuit mais aussi … une seule journée seront autorisées.


Pourquoi soudain une seule journée ?... Le règlement semble bien arbitraire! 

Ce règlement impose aussi qu'un visiteur tunisien, chaque fois qu'il monte à bord d'une embarcation, de jour comme de nuit et quelque soit la durée de sa visite, dépose sa carte d'identité au poste et la reprenne en partant.
Notre proposition de déposer papiers du bateau et passeports afin de les assurer que nous ne quitterons pas le port avec notre invité les laissera inflexibles.

Cet ami pourra donc passer la journée avec nous mais devra quitter le port à 19 heures sous peine d'être débarqué pour être "embarqué" (Ils oublient juste une petite chose : Sur le bateau, nous sommes en territoire français. La police ne peut donc monter à bord sans notre consentement. Ceci est réservé aux douanes. Mais, … nous n’allons pas chercher querelle, notre ami en pâtirait!)

Motif invoqué :  Notre sécurité (?!) … mais alors pourquoi cette personne s'est également vu refuser la possibilité de dormir sur le bateau pirate (celui-ci ne faisant que des excursions de 3 ou 4 heures sur la côte avant de revenir au port)?

Est-ce donc la crainte de voir fuir un tunisien et ce souci de sécurité sans cesse invoqué ou tout simplement une terrible appréhension que la population se mêle trop étroitement aux étrangers?

Sur un rond point à Monastir.
Allez, celle-ci vaut bien un plan rapproché !
Anecdote sur la courtoise de la police tunisienne :

Le soir, notre ami dépose ses papiers. L'équipe de nuit n'est pas au courant. L'autorisation du chef n'est pas dans notre dossier.
Le capitaine, mon mari il va de soit, doit de nouveau écrire une lettre. Cette fois il doit stipuler que lui-même "autorise" notre ami à dormir à bord.

L'hypocrisie étant à son comble, Rémy commence à s'énerver.

Alors que Candice et moi tentons de lui faire garder son calme, je prends la parole.
Un policier me toise et me dit très vertement : "Vous, quand vous serez Capitaine …"
Je suis exaspérée. Tout en gardant un sourire courtois, je rétorque: "Je suis aussi Capitaine. Le bateau est à nous deux. C'est comme ça en France !".
Et de me répondre : "Et bien pas chez nous!"

Ce pays vit principalement du tourisme procurant plus de 10% des emplois.
Si la rouerie est dans les gènes des tunisiens et que la plupart d’entre eux ne voient en nous que des portefeuilles, d'autres se rendent disponibles et de manière totalement désintéressée, désirant plus que tout nous laisser une bonne image de leur pays, tentant de nous faire oublier les "arnaques" de leurs compatriotes.

Quelque soit leur motivation, la majorité de ces gens est d'une grande gentillesse...

Dans une boutique de journaux et boissons à Sbeïtla.

… Mais cette entrave à toute relation avec un autochtone, cette incursion dans la vie privée, cette suspicion frôlant la paranoïa et cette persécution sournoise imposée par cet État policier, ne pourraient-ils pas à terme réduire à néant tous leurs efforts.

Qu'adviendrait-il si les touristes savaient ce que l'on sait?

Se contenteraient-ils d'ignorer la chose, profitant du soleil, de prix dérisoires, d'une population trop servile parce que pauvre et trop longtemps colonisée? – Boycotteraient-ils cette destination, appauvrissant ainsi d'avantage une partie de la population? – Ou  décideraient-ils d'agir?

Nous connaissons hélas la réponse.

Mais si notre expérience peut simplement donner lieu à réflexion, alors ces quelques lignes ne sont pas vaines!

Venant de visiter le sud, nous remontons via Gabès.
Tiens donc ! Après des centaines de kilomètres sans une seule affiche du Président (pas très aimé dans le sud semble-t-il), le re-voici et c’est bien la meilleure:
Affiche pour le Sommet Mondial sur la société de l’information - novembre 2005.
La main sur le coeur aussi, probablement, faisait-il ce jour-là interdire de descendre d’avion le président de Reporters Sans Frontières, et emprisonner un journaliste … ??!!
*

A noter : Nous ne publierons ces lignes qu'une fois sortis du territoire de crainte d’avoir des ennuis. Au minimum d'être contrôlés plus que de coutume (si c'est possible?!) et systématiquement fouillés tout le temps qu'il nous restera à passer dans les eaux tunisiennes.

Pour ceux qui penseraient que nous exagérons, une petite preuve, s’il en fallait, de cette censure :
A l’instant où nous nous apprêtons à envoyer ces lignes sur le site, Candice lit sur son livre d’Education Civique, un sujet de Brevet Blanc : - Internet et démocratie -

Un article du journal Le Monde y est cité : «Une bonne demi-douzaine de pays pratiquent la censure politique en utilisant des techniques plus ou moins perfectionnées de filtrage. Exemple : impossible d’accéder aux sites d’Amnesty International et de Human Rights Watch (Observatoire pour les droits de l’Homme) depuis la Chine ou la Tunisie. Un laconique «Impossible d’établir la connexion» pour toute explication….»

La paranoïa nous a-t-elle contaminés ?  A vous de juger !

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Mais je ne voudrais en aucun cas clore ce périple en Tunisie sur une note pessimiste.
Nous avons adoré ce pays et sommes bien tristes de le quitter.
La gentillesse et la bonne humeur des tunisiens, leur faculté à trouver une solution à tout problème, les superbes paysages du sud, la chaleur des Kerkenniens, … .
Tant de facteurs ont réchauffé notre âme et nous poussent, plus encore, à découvrir d’autres horizons.
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