Jeudi 24 avril 2008

*
Note :

Quelques jours plus tard, nous regretterons notre jugement sans concession sur cette population gambienne très sympathique et ô combien serviable.

Je fais malgré tout le choix de laisser ici nos premières impressions.

Car malgré la mobilisation dénuée de tout intérêt et l’immense service que nous rendrons nombre de ces gens, leur "côté" très envahissant nous a souvent fait fuir villes et villages.

Au fil de notre avancée sur le fleuve, évitant de plus en plus les contacts avec la population, nous avons tenté d’analyser ce sentiment et cette attitude qui ne nous ressemble guère.

Candice en a peut-être trouvé la raison essentielle.

Nous sommes venus en Gambie pour la beauté de sa faune et de sa flore.

Et peut-être avons-nous souhaité, inconsciemment, y trouver le calme dont nous avions besoin après plusieurs mois passés à créer de réels contacts avec la population sénégalaise.
Tenter de comprendre leur culture et leur manière de vivre s’avérant très enrichissant certes, mais imposant certaines obligations et une disponibilité parfois pesante.

***

7 heures 30

Goyave et Vent de Folie  prennent le départ pour la dernière étape
de cette remontée du fleuve Gambie.

Sur les rives, des palmiers et des manguiers à profusion. Les branches plongent dans l’eau. Les fruits murs nous tendent les bras.

  Nids de vautours

Les branches bougent, se ploient pour se redresser aussitôt.

Ce sont des singes bruns et fauves qui sautent de branche en branche.

(Recadrage de la photo précédente)

Derrière ces arbres, nous apercevons des prairies verdoyantes.

Les troupeaux sont de plus en plus nombreux.

Les femmes se lavent ou font la lessive au bord du fleuve tandis que les enfants se baignent.

Mais très vite, dans le moindre interstice laissé par la végétation, hommes et enfants suivent notre progression en courant, nous appelant sans trêve :

Hello… toubab….toubab…. Hello (bonjour)… Come here (Viens ici)…Hello… 

Je ne vous dirai pas comment nous les avons surnommés, mais ça commence par « les casse… » !

Le cauchemar ne fait que commencer !

Nous jetons l’ancre devant la ville de Georgetown.

Georgetown, ancienne capitale de la Gambie, est située sur une vaste île au milieu du fleuve.

Georgetown a été rebaptisée.
Son nom est en réalité Jan Jan Bureh mais les vieilles habitudes ont la vie longue.

Nous venons de jeter l’ancre.

A savoir que, prévenus par d’autres navigateurs, nous mouillons volontairement à une distance raisonnable de la rive.

Aussitôt, un jeune homme nage jusqu’à nous et s’accroche au bateau.

Mohamed, que nous n’avions jamais vu auparavant, fait des études. Il souhaite, tout simplement, que nous lui donnions 150 dalasis pour l’aider à payer une école où il n’a probablement jamais mis les pieds.

Il restera ainsi, accroché à l’arrière du voilier, durant plus d’un quart d’heure avant que nous parvenions à nous débarrasser de ce premier « pot de colle ».

Quelques instants plus tard...

Ce sont 10 jeunes, nageant eux aussi à la perfection, qui viennent s’accrocher au safran.
Je n’ai pas le temps de sortir du carré, l’un d’eux est déjà sur le pont.

Alors que je tente de leur expliquer dans mon meilleur anglais quelques règles de civisme – en colère, il semble que les bribes scolaires reviennent vite ! – Rémy sort du lit comme une bombe, et sans prendre le temps d’enfiler un short, rugit dans le cockpit.

Le plongeon simultané de 3 ou 4 jeunes déjà grimpés sur la plate forme arrière déclenche malgré nous un grand fou rire à bord de Vent de Folie.

Une heure passe… Une pirogue approche.

Son pauvre propriétaire, se réclamant le guide connu et respecté de voiliers nous ayant précédés, regrettera sa venue.
Nous l’assaillirons de nos récriminations quant au comportement de ses congénères.

Visite de la ville – Le cauchemar continue !

Nous quittons le bord.

L’annexe touche la terre rouge du bord du fleuve, envahie de déchets et autres bouts de ferraille.

Nous parvenons à nous faire une place entre de vieilles barques.

Chérif est sur sa barge en fer. Il prend notre amarre, l’accroche à sa barge et nous aide à descendre.

Nous escaladons les rochers, attentifs à ne pas nous blesser avec l’un de ces « OBNI » - Objets Non Identifiés – qui jonchent le sol et nous « fileraient le tétanos vite fait bien fait ! »

Des dizaines de mains se tendent pour nous aider puis nous proposer une visite guidée que nous refusons…mais que nous subirons malgré tout (!)

Petits et grands nous encerclent.

L’un d’eux - un "grand" - aborde avec diplomatie le problème de la garde de notre annexe.

- Combien ?
- C’est pas grave !
- Si c’est grave. Combien ?
- ...200 Dalasis
(près de 7 euros)… !!!

Rémy excédé redescend immédiatement dans l’annexe, sans un mot , prêt à repartir.

Heureusement, Chérif intervient.

Il parvient à le calmer et lui assure que l’annexe ne risque rien accrochée à sa barge :

Elle est à lui - Il reste là - L’annexe ne risque rien - Et c’est gratuit.

Malgré nos protestations successives, nous visiterons Georgetown affublés de deux "pots de colle".

L’un d’eux est « le guide » venu essuyer nos récriminations peu après notre arrivée.
L’autre est un jeune garçon très sympathique prénommé également Chérif, dont l’intérêt n’est peut-être pas étranger à la présence de notre jeune adolescente.

Bref ! Ils sont tout deux bavards comme des pies.

Entre temps, chaque gamin s’arrêtant pour nous saluer nous demande quelque chose dans un anglais gambien :

Balin…balin…
(comprendre "baloon" : ballon)

Bon à savoir Les gambiens parlent un anglais pour le moins…particulier.

Pour le comprendre, il suffit de savoir que les « tch » se prononcent « t » et que les « ch » se prononcent « s ».
Ainsi « Fish » (poisson) se dit « Fis » – « Witch (lequel) » se dit « Wit ».
. .

Le moindre geste vers la fermeture d’un sac génère une réaction immédiate : 10 petites mains s’approchent persuadées qu’un don quelconque va en sortir.

Nous tenons à préciser qu’à aucun moment, nous n’avons craint le vol.
Mais la mendicité envers les toubabs semble faire partie intégrante de l’éducation de ces gamins.

Où sont nos adorables bambins casamançais ?!

Anecdote : Petit conseil pour les non anglophones :

Pour répondre à chaque personne saluée, c'est-à-dire tout le monde sans exception, sachez que les questions posées sont invariablement et toujours dans cet ordre bien précis :

How are you (comment allez-vous)?
From « wit » country you come (de quel pays tu viens) ?
What is your name (comment tu t’appelles)?

S’il s’agit d’un adulte, s’ajouteront, toujours invariablement et plusieurs fois au cours de cette prise de contact :

How is the family (comment va la famille)?
How is the journey (comment va le voyage)?

Il vous suffira donc de préparer vos réponses à ces questions que vous tâcherez d’apprendre par cœur.

La réponse devant être, encore et toujours invariablement : Fine (bien)!

Surtout, ne pas oublier de leur retourner ensuite la question. Ne serait-ce que pour leur donner l’occasion de vous répondre « Fine » suivi... de la même question !!!

A part ces désagréments, nous trouvons cette ville …

moche, sale, puante et sans grand intérêt.

Et cette fois, notre peu d’attirance pour la ville n’est pour rien dans ce jugement.

Preuves à l’appui :

Seule demeure en bon état :
La maison du gouverneur
Chut ! Je n’avais pas le droit de la photographier parait-il !

Les poubelles municipales  . . . ?!

Nous sommes près de la rive.

Quelques panneaux ou devantures parviennent toutefois à nous arracher un sourire :

 
« Si c’est fermé, cherchez-moi à la maison »… !

Ainsi que cette adorable petite-fille qui s’arrête et me sourit lorsqu’elle voit mon appareil photo mais qui, suite au cri d’une femme, s’échappera aussitôt.

Sur le vieil embarcadère, chaque jour, les femmes font la lessive. 

  Bac de Georgetown

Si cet embarcadère délabré semble abandonné, il n’en est rien.

Si le bac s'arrête plusieurs par jour en face de la route, un peu plus loin, des péniches et d'immenses barges y accostent régulièrement.

La Gambie est le 2ème producteur mondial d’arachide.

L’arachide représente le tiers des recettes annuelles d’exportation. Le tourisme, autre activité importante du pays, représente 20% du PIB.

À Georgetown, chaque semaine, un immense convoi vient charger l’arachide pour la transporter aux usines de Denton Bridge.

Il n’est donc pas rare de croiser ces immenses convois sur le fleuve. Ou encore dans un bolong, derrière une île, au lever du jour, alors que vous vous laissiez encore bercer par les bras de Morphée.

L'histoire de Georgetown.

Les seuls intérêts de cette ville sont la maison bleue et les ruines, nous rappelant cette terrible période de l’esclavagisme, et vers lesquels nos « guides »  nous entraînent immédiatement.

Là, je laisse Rémy, notre spécialiste en Histoire et en langue anglaise de surcroît, vous donner quelques explications :

La « Maison bleue » est la maison des esclaves :

Les geôles sont en sous-sol où les esclaves étaient tenus prisonniers. Elles se visitent à la lueur de la bougie.
Information donnée par les guides et confirmée par nos accompagnateurs probablement déçus de notre manque de curiosité (!?)

Les ruines :

La tradition orale veut que les esclaves aient été parqués à l’intérieur de cet entrepôt en ruine, avant d’être expédiés aux Amériques.

Pourtant l’entrepôt n’a été bâti qu’en 1904 par la CFAO (Compagnie française de l’Afrique occidentale) alors que l’esclavage a été aboli en 1807 par les Anglais et en 1848 par les Français.

Malgré ces faits, on nous montre les fers auxquels ils étaient attachés et le lieu où se trouvait la balance qui servait à les peser.

Aucun de nos jeunes guides ne fera halte devant cette stèle dans un jardin, non loin de ces bâtiments :

Cette stèle nous apprend  que les Anglais ont acheté cette terre en 1823 afin d’empêcher que l’esclavage "domestique" y  soit toujours pratiqué.
Ils y établirent une base militaire et un fort fut construit à cet endroit que l’on nomma « Fort George ».

A Georgetown ainsi que dans d’autres villes, nous sentirons combien l’accent a pu être mis, lors de l’éducation des jeunes, sur cette partie de l’histoire, terrible certes. Mais combien aussi l’on a su « s’arranger » avec cette réalité historique.

Dans ce bâtiment, chaque matin, c’est le marché.

Trop tendus à l’idée de nous faire "alpaguer" de nouveau, dès le lendemain matin, nous attendrons notre prochaine visite dans cette ville pour découvrir les lieux animés.

Chaque femme étale le fruit de sa récolte. Toutes les petites rangées sont identiques :

L’indispensable gombo, 4 ou 5 minuscules aubergines amères, une dizaine de minuscules tomates, des oignons, et quelques bassines de feuilles vertes.
Les plus vieilles, assises sur le sol, vendent des cacahuètes loin de valoir les cacahuètes au sable du Sénégal mais très bon marché.

Anecdote : Comment apprendre le calcul ?… !

Je m’arrête devant une vieille dame et lui achète un gros sac de cacahuètes.
Elle ne semble pas comprendre qu’elle doit me rendre 10 dalasis sur 50. Une de ses amies vient à son aide.

L’affaire est faite !

Je lui demande alors si je peux photographier l’étalage devant lequel elle est assise.

Tout en ajustant son foulard, elle me montre un billet et me dit :

« Ten…ten… (10…10…) »

No comment (sans commentaire)… !!!

Vous n’aurez donc pas d’autres clichés que ceux « volés » un peu plus tard avec, je l’avoue, un petit esprit de vengeance.

Dès le lendemain de notre première visite dans cette ville, nous fuyons donc et décidons d’aller mouiller devant un joli campement aperçu depuis le fleuve.

Nous sommes au « Bird Safari Camp ».

Samba, dit Sam, responsable de ce camp, nous reçoit avec beaucoup de classe et de sympathie et tient à nous faire visiter les lieux.

Mais Sam fera bien plus pour nous.

Il participera à une mobilisation générale de cette population gambienne qui permit à Candice d’expédier ses derniers devoirs au CNED afin d’assurer son passage en terminale et contribuera à modifier considérablement notre opinion sur la plupart de ces gens.

*

Si vous souhaitez comprendre pourquoi une tâche insignifiante en Europe peut s’avérer un vrai parcours du combattant en Afrique.
Si vous souhaitez vivre avec nous une vraie journée en Afrique, avec toutes les surprises que cela implique.
Si enfin vous voulez comprendre les contraintes qu’impose « l’école à bord ».

Je vous propose de suivre le lien « La course contre la montre » à la fin de cette page.

* * *

Lorsque nous tenterons, en vain, de remercier Sam, voici ce qu’il nous répondra – cette phrase le caractérisant mieux que tout qualificatif :

« Si tu fais le bien, le bien te suit ! »

En plus de son aide précieuse, Sam nous donnera quantité d’informations sur son pays.

   Avec lui, nous apprenons que la fête de la circoncision, si elle se déroule sensiblement comme en Casamance (sujet que je vous promets d’aborder bientôt) et tous les 5 ans, comporte toutefois une énorme différence à nos yeux.

L’acte se pratique exclusivement à l’hôpital et un infirmier se rend ensuite, chaque soir, dans le « bois sacré » où se déroule l’initiation, afin de suivre médicalement les circoncis.

   Il nous parle aussi de l’excision, sujet totalement nié par la majeure partie de la population sénégalaise alors qu’elle se pratique encore, « entre femmes », dans le plus grand secret et donc en l’absence de tout suivi médical.
En Gambie, cette pratique largement répandue et contre laquelle l’État est accusé de ne pas lutter suffisamment, a lieu elle aussi dans le « bois sacré » mais ne donne pas lieu à une cérémonie.

   Nous évoquerons l’esclavage et apprendrons que les anglais échangeaient tabac et alcool contre esclaves avec les « Manças » - les rois.
Et l’on retrouve là l’origine du nom « Casamance » : « Casa Mança » signifiant « la maison du roi ».

Profitant de l’état d’ébriété du Mança, ils se rendaient dans le « bois sacré » durant l’initiation et choisissaient leurs futurs esclaves parmi les jeunes enfants.

   À l’époque où Français et Anglais occupaient le pays, ces derniers, intéressés uniquement par le fleuve et ses abords, cédèrent l’intérieur des terres aux Français.
Ce qui explique la géographie de l’actuelle Gambie .

Sam,  garçon adorable, généreux et cultivé, restera pour nous une des personnes les plus exquises rencontrées durant ce voyage en Gambie.

Après quelques vaines tentatives de connexion Internet sur un matériel hors d’âge (voir page suivante) avec notre ami, et des heures que nous aurions voulu voir s’éterniser en sa compagnie...

Nous quittons Georgetown pour le parc naturel de
Baboon Island.


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